Le Quai | Mon Ambassade en Russie soviétique (1917-1919) par Joseph Noulens
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Mon Ambassade en Russie soviétique (1917-1919) par Joseph Noulens

Category
Histoire Politique, Mémoires
About This Project

Joseph Noulens n’était pas un diplomate de carrière. C’était un homme politique de premier plan comme la troisième République, tout à la préparation de la Revanche sur l’Allemagne, avait su en engendrer. Il fut député du Gers, Ministre de la Guerre dans le gouvernement Doumergue, Ministre des Finances dans le gouvernement Viviani jusqu’en août 1914 où il fit adopter par l’Assemblée Nationale le projet de loi de son prédécesseur Caillaux créant l’Impôt sur le Revenu. Il partit en mai 1917 pour Petrograd. Il succédait à Maurice Paléologue, grande figure du Quai d’Orsay, un des artisans de l’Alliance franco-russe et de l’engagement militaire russe contre l’Allemagne. Paléologue était devenu proche du Tsar mais, contrairement à ce que ses détracteurs prétendaient, il avait vu venir les troubles et l’effondrement de la Russie.

Pour Noulens prendre un tel poste en mai 1917, avec pour principal objectif de maintenir la Russie en guerre contre l’Allemagne, alors que le régime impérial était mort, que la Révolution de Février n’avait pas, loin de là, stabilisé le pays , et que les troupes allemandes enregistraient succès sur succès, était pour un homme politique de son envergure une marque de patriotisme et de courage, une gageure justifiée par le sentiment de l’urgence à un moment où le sort de la guerre se jouait. Joseph Noulens n’était pas un homme ordinaire.

L’intérêt de ses « Souvenirs » est triple : Joseph Noulens  écrit d’abord une page d’histoire, ensuite il rend compte avec précision du travail d’un diplomate en temps de crise, enfin c’est un vrai roman d’aventure que l’auteur , sans doute imprégné de la lecture de Jules Vernes, raconte sans trop se mettre en avant mais avec la conscience d’avoir été à la hauteur des évènements.

La page d’histoire est avant tout celle de l’incroyable désordre qui règne en Russie après la Révolution de Février . La rupture progressive des  relations entre la Russie des bolcheviks et l’Europe occidentale est illustrée par de nombreux épisodes vécus par Noulens : il organise la migration du corps diplomatique en Finlande d’où , rattrapé par la guerre, il doit regagner Russie et se rendre à Vologda ; il résiste au harcèlement auquel sont soumis les diplomates alliés ; il révêle les ambiguïtés américaines à l’égard des soviets ; il témoigne du  début des purges et de la répression de masse ; il observe les hésitations soviétiques sur le traitement à accorder aux alliés ; il déjoue la tentative russe d’ utiliser la coopération française pour former la jeune armée rouge en  faisant miroiter  une plus forte résistance à l’influence allemande à défaut d’une reprise des combats ; il soutient la création d’un «  gouvernement du Nord  »   acquis aux Alliés et appuyé par une force alliée débarquée à Arkhangelsk ; il admire les exploits de la Légion Tchèque ; enfin il rentre vers la France à travers la Scandinavie. Les relations diplomatiques avec la Russie Soviétique ne reprendront qu’en 1924. Mais il apparaît à la lumière de ces souvenirs que l’idéologie anti- capitaliste (la réponse des bolcheviks aux avances américaines est à cet égard éclairante et drôle) n’est pas la seule raison de la rupture entre les alliés et les « maximalistes » russes : la détermination des soviets à sortir de la guerre et la volonté des alliés de les y maintenir y a joué un rôle encore plus important.

Le regard sur la Russie de Joseph Noulens est dénué de toute sympathie car le nouveau pouvoir  trahissait les engagements du pays envers les alliés rejetant ainsi le poids de nombreuses divisions allemandes sur le front français. Sa grille de lecture appuyée sur un patriotisme exigeant et sur la conscience froide des intérêts de son pays, l’a rarement induit en erreur. Tout au plus peut-on lui reprocher de n’avoir pas entrevu, au sein de l’énorme et meurtrière pagaille de la guerre civile, la réémergence de l’empire russe sous sa forme soviétique et la consolidation d’une nouvelle puissance. Il avait bien des excuses. En tout cas l’image qu’il a donnée des soldats tchèques, des soubresauts baltes, des ambitions de la Pologne et de la situation  en Ukraine a marqué durablement la diplomatie française de l’entre-deux guerre. Elle n’est peut-être pas étrangère à la tentative française de s’appuyer sur les petites puissances européennes à la fois contre l’URSS et l’Allemagne. Le tableau qu’il trace de l’Europe centrale et orientale au sortir de la défaite allemande et de la Révolution russe reste, cent ans après, d’une surprenante et inquiétante actualité.